La Compagnie des Expatriés, a accueilli pendant deux mois Alice LEPOITTEVIN, stagiaire dans le cadre de son Master I « migrations internationales » qu’elle effectue auprès de l’Université de Poitiers. Elle a centré son travail sur « la prise en compte du bien être des expatriés par les entreprises ou les administrations françaises travaillant à l’international ».
Un aspect clef de son approche a porté sur le devoir de protection des employeurs envers leurs salariés (le « duty of care »), aspect essentiel de l’International, dont elle nous livre ici une brève synthèse.
Que dit le Code du travail français ?
Une entreprise doit « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses employés » (article L-4121-1). Elle a ainsi des obligations vis-à-vis ses salariés et doit mettre en place des actions de prévention, d’information et de formation face aux risques qu’ils encourent. En cas de non-respect de cette obligation de prévention, information et protection, l’employeur encourt des sanctions plus ou moins lourdes.
Cependant, le code du travail n’évoque pas le cas particulier des expatriés. Des jurisprudences se sont alors mises en place et éclairent l’interprétation des textes de loi. Elles protègent ainsi les expatriés en mission qui peuvent être exposés à des risques sanitaires ou sécuritaires importants, très différents de ceux de la métropole et variant selon leur lieu d’expatriation.
Des jurisprudences concernant la protection des expatriés
Durant les deux dernières décennies, plusieurs dossiers (dont certains très médiatiques) ont amené la justice à préciser le droit. Diverses décisions encadrent désormais de manière pragmatique la question :
La jurisprudence « Karachi » (Cour d’appel de Rennes le 24 octobre 2007), à la suite d’un attentat au Pakistan qui, en mai 2002, avait coûté la vie à 11 salariés de la DCNS alors qu’ils se rendaient sur leur chantier, introduit l’obligation pour les entreprises d’assurer la prévention des risques et la protection des employés. En l’occurrence, le Juge a considéré que DCNS avait commis une « faute inexcusable » en matière de prévention alors qu’elle avait « connaissance du danger ».
Un an auparavant, la jurisprudence « Jolo » (TGI de de Paris le 7 juin 2006), confirmée en appel le 23 janvier 2009), dans la cadre d’une affaire de prise d’otages de personnels et de touristes entre la Malaisie et les Philippines, établissait la nécessité pour l’employeur d’informer ses personnels des risques qu’ils encourent lors de leurs déplacements à l’étranger (la même obligation valait d’ailleurs également pour l’entreprise, un voyagiste, envers ses clients).
Ces deux rappels sont fondamentaux, car de fait la loi française induit une responsabilité de l’employeur particulièrement importante dans la protection de ses salariés ; cette responsabilité est ainsi systématiquement recherchée en cas de dommage.
Plus près de nous la jurisprudence « Air France » (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 25 novembre 2015), dans le cadre d’une action d’un salarié évoquant son stress post-traumatique après les attentats du 11 septembre 2001, a rappelé que les entreprises se devaient de prendre des mesures de prévention en la matière, mais a tenu à préciser que dès lors qu’il était établi que l’employeur avait mis en place tous les moyens nécessaires, sa responsabilité ne pouvait pas être systématiquement engagée.
Cette jurisprudence a donc en quelque sorte assoupli l’obligation de sécurité, en ne la soumettant plus à une obligation de résultat, (quoi qu’il arrive, l’expatrié doit être sain et sauf), mais à une obligation de moyens renforcée (mettre en place tous les moyens à disposition pour protéger et informer).
Et en droit international ? La norme ISO 31030/2021
La norme ISO 31030/2021 date de septembre 2021. Récente et non contraignante car ne formulant que des recommandations, elle s’attache cependant à la question des risques liés aux voyages professionnels.
Elle précise dans son introduction que « la gestion des risques liés aux voyages est une composante des activités de voyage de tout organisme et il convient d’y inclure l’interaction avec les parties prenantes » et que « les voyages sont de plus en plus fréquents dans le cadre de l’exercice d’un emploi ou d’une fonction. Par conséquent, il est nécessaire que les organismes s’acquittent de leur devoir de protection sous de multiples juridictions dans différentes parties du monde ».
Suivent ensuite de nombreux développements sur les différents acteurs, la gestion, l’appréciation et le traitement des risques. Elle est ainsi, en quelque sorte, un guide de l’expatriation à l’usage des entreprises, indique à quels moments il est souhaitable que l’employeur intervienne dans la préparation et l’exécution d’un déplacement professionnel, quelles technologies peuvent être utilisées pour accompagner et protéger l’expatrié etc.
Elle complète et élargit les questions de droit du travail sur le Duty of Care de l’employeur et démontre que les institutions et la communauté internationales perçoivent bien les enjeux de l’expatriation et s’organisent pour les appréhender de manière responsable et concertée.
Le tableau dressé par Alice pose les bases de toute réflexion quant à la préparation de l’expatriation de salariés, qu’elle soit pour des missions courtes ou pour une installation sur la durée.
Dans un monde de plus en plus complexe, il est essentiel pour les entreprises se lançant à l’International de faire effectuer par un spécialiste un audit complet des risques et besoins, afin de définir de concert la meilleure couverture informative, assurantielle et opérationnelle possible.